Enjeux économiques

Construction Européenne

Les points de vue sur l'Europe

Regis Debray

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Source Le Figaro - 30 Mars 2019

"A force de vouloir acceuillr toutes les identités, l'Europe n'a plus d'identité"

Livre "L'Europe fantôme", collection "Tracts", Gallimard, 48 p., 3,90 €

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Le projet européen est devenu un messianisme sans consistance

Le supplément d'âme du techno (européiste) fait une religion séculière très faible, qui ne mobilise aucun affect, ne se souvient d'aucun passé et ne définit aucun avenir.

"En nationalité, c'est tout comme en géologie, la chaleur est en bas" disait Michelet. Pour l'Union Européenne, la chaleur est en haut et ne descend pas. C'est une locomotive sans wagons constate justement Védrine.

Il y a eu au départ, au lendemain de la guerre, une ferveur, un élan, grâce à la convergence de deux messianismes, le chrétien et le progressiste - une jonction miraculeuse entre l'empire de la Grâce , pour un retour de chrétienté, et l'empire de la Raison, comme vide unificateur et pacificateur. Jacques Delors a sevi de pont entre ces deux versants, d'où le consensus sur son nom. Malheureusement, les deux pilliers du Temple, la démocratie chrétienne et le social-démocrate, se sont effondrés, et ne reste plus qu'un néo-libéralisme sec et cru. Pas très motivant.

La mondialisation techno-économique débouche sur une balkanisation culturelle et politique, avec une fragmentation croissante des ensembles des ensembles organisés.

L'Europe, qui était censée fédérer, diminue et fragmente les Etats nations, accélère les séparatismes, voyez l'Espagne, la Belgique, la Grande Bretagne, la Padanie italienne. Le supra-national débouche sur un grand retour du féodal.

Une Europe fondée sur la primauté de l'homo oeconomicus ne peut être dominée que par la première économie du continent.

La construction européenne est un agrégat, hors sol et hors histoire.

L'homo oeconomicus américain s'adosse à une croyance en Dieu, in God we trust. Et chez nous, il se veut autosuffisant. Comparez un billet de 10 dollars, qui articule une métaphysique sur une histoire concrète et une géographie précise, avec un billet de 10 euros, qui est un billet de Monopoly sans devise, sans visage et sans lieu, et vous comprendrez tout. Pas une silhouette sous ces arches en suspension entre ciel et terre, telles des apparitions fantomatiques. D'un côté, un peuple, donc une histoire. De l'autre, un agrégat, hors sol et hors histoire.

Le peuple européen n'existe pas

Un Parlement européen ne peut engendrer un peuple.

Un peuple, ce n'est pas seulement une communauté d'intérêts économiques, mais une communauté imaginaire. Celle-ci suscite une affectio societatis, une solidarité collective, intime et instinctive. Un Français n'est pas concerné par ce qui se passe en Pologne ou en Estonie. Il y a un cinéma américain mais il n'y a pas de cinéma européen, faute d'une langue commune et de vedettes qui parlent à tous les pays. "Les seuls acteurs que l'on a en commun en Europe sont américains" note Jean-Jacques Annaud.

Ce n'est pas l'Europe de Bruxelle qui a apporté la paix, mais la dissuasion nucléaire de la guerre froide entre ses suzerains américains et soviétiques.

Ce n'est pas l'Europe de Bruxelle qui a apporté la paix, c'est la paix mondiale qui a fait cette Europe, quand la dissuasion nucléaire a gelé de part et d'autre les conflits dans chaque camp, chaque suzerain, Etats-Unis et URSS, n'ayant aucun intérêt à voir ses protégés se déchirer. Et ladite Europe a dû en appeler aux Etats-Unis pour ramener la paix dans l'ex-Yougoslavie, qu'elle a été incapable de restaurer par elle-même. Elle ne peut ni faire la guerre ni faire la paix.

A force de vouloir accueillir toutes les identités, l'Europe n'a plus d'identité

La culture, c'est d'abord la langue. Si vous allez à Bruxelles, vous verrez que c'est devenu une ville anglophone, alors que Genève est restée francophone.

Pour résister aux empires, l'Europe centrale et balkanique ne peut survivre en dehors du nationalisme

L'Europe centrale et balkanique n'a jamais pu se reposer sur un Etat, mais sur sa culture ancestrale, et la résistance passe toujours là-bas par la langue et la religion.

La nation ethnique est en train de se substituer à la nation civique

Il faut assurer un avenir à la nation civique, la nôtre, fondée sur le "est Français qui veut", et empêcher à tout prix que la nation ethnique, fondée sur la loi du sang, ne vienne la remplacer.

Une Europe technocratique qui ne crée que des normes ne peut que se dilleter

Les peuples risquent de se fatiguer de voir des juges non plus serviteurs de la loi, mais prescripteurs de normes, qui oublient que la loi républicaine est l'expression d'une volonté générale, délibérée par les représentants du peuple et appliquée en son nom. La judiciarisation à tous crins de la vie publique, c'est déjà la démission du politique. 


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